Une journée incroyable par Evelyne Patricia Lokrou

Publié le par Evelyne Patricia Lokrou

Bonjour.

Voici une journée incroyable, texte écrit pour un concours. Merci.

 

Une journée incroyable

Par Evelyne Patricia Lokrou

Comme chaque matin, lorsqu’il allait travailler, il enfila son manteau, sortit en laissant claquer la porte cochère puis se dirigea vers l’arrêt de bus le plus proche. Mais ce jour-là, rien ne paraissait se dérouler comme d'ordinaire. En effet, les choses étaient différentes parce que son réveil était en panne et que lui l'ignorait. Il s'était donc levé du lit trop tard, croyant qu'il avait du temps. Il avait pris un petit déjeuner copieux: des œufs broyés, du jus d'orange, une tranche de pain toasté,  beurré et du brie; un petit café au lait, sucré. Il s'était rasé, parfumé et fait beau en sortant de sa douche. Dehors, il chantait gaiement. Le bus 147 devait déjà attendre les passagers, mais étrangement, pas de signe de lui. Par réflexe, plus que par inquiétude, il consulta sa montre: il était en retard de deux heures. Est-ce que le bijou à son poignet droit indiquait l'heure exacte ? Il en doutait. Il interrogea l'un des rares passants, un garçon d'environ dix ans, qui faisait sûrement l'école buissonnière. Celui-ci était formel, il était bien 10 heures. Jean devait prendre le bus de 8 heures. Il se dit, embarrassé, qu'il se ferait renvoyer de son travail, car il y a deux semaines, il était allé en vacances en Floride et il y avait passé trois semaines. Deux de plus que lui avait autorisé sa patronne, - une femme de quarante-cinq ans, divorcée, sans enfant, toujours aussi belle, mais chiante et autoritaire. Elle lui avait lancé à la figure à son retour: « la prochaine fois que vous me faites ce coup, Jean Leconte, je vous fous à la porte sur-le-champ. Vous avez intérêt à être à l'heure, car même une petite minute de retard et vous êtes renvoyé. Est-ce que c'est clair ? ». «Très clair», avait-il murmuré, comme un enfant qui vient de se faire engueuler». Elle ne plaisantait jamais, aussi se dit-il:« je suis au chômage». En temps normal, la situation l'aurait grandement inquiété voire même terrorisé, mais à cet instant précis, il était étrangement calme. Il décida de monter tout de même dans le prochain autobus et de profiter du paysage. Aussitôt assis à l'arrière, sur son banc préféré, il scruta l'horizon en se disant que la vie était tout de même belle. C'est alors qu'un portail s'ouvrit dans les nuages, sous ses yeux ébahis. Il était impressionné par ce spectacle. Il se demandait si d'autres voyaient ce qui se déroulait. Il regarda à gauche, à droite, devant lui. Aussitôt, le bus s'immobilisa brusquement. Jean faillit tomber. Lui, si «parfait» d'ordinaire, voulut lancer un juron, lorsque l'autobus disparut; le chauffeur et les douze «voyageurs» se métamorphosèrent en de magnifiques goélands qui volèrent au-dessus de la tête d'un Jean qui se dit qu'il était en train de perdre la raison. «Cette fois, je deviens fou.». 
Il n'eut pas le temps d'approfondir sa découverte, car il se changea en un oiseau noir. Il vola dans le ciel bleu et blanc et se posa sur la plus haute bâtisse (une église). Le seul goéland jeune se posa à sa droite, tandis que les autres attendaient derrière lui. Jean se demandait quand il redeviendrait Jean, l'homme de quarante ans, et pourquoi il était désormais cet oiseau, chef de ces goélands. (Vous aurez deviné qu'il avait conscience de son nouvel État.) Il commença pourtant à se faire à sa nouvelle apparence. Il observait fièrement les gens lorsqu'il vit une sublime  jeune femme, de vingt-cinq ans, élégante dans sa robe d'été, jaune et vert. Son sac noir et ses chaussures de la même couleur se mariaient à ses cheveux. Jean oublia l'oiseau. Son coup de foudre le poussa à rejoindre la belle Olive. Pourtant, aussitôt près d'elle, il se contenta de se poser sur son épaule. Cela ne sembla pas la gêner. Elle sourit. Ils marchèrent ainsi sous le regard médusé des personnes qu'ils rencontrèrent. C'est alors qu'un homme surgissant de son véhicule noir, montra à la femme effrayée une tête humaine et l'obligea à la prendre dans ses mains. Olive choquée, respectueuse de la Vie, refusa. C'est alors qu'il lui fit subir le même sort qu'à ce malheureux qui n'avait, semblait-il, pas gagné le droit à une sépulture et au respect de son corps (de sa tête). Jean, qui volait au-dessus de la jeune fille,  se dit: « ma chère Live, tu ne mérites pas cela. Je t'ai souvent vu marcher, il a fallu me transformer pour me rendre compte de mon aveuglement. Je suis maintenant très amoureux de toi et...» 
Il voulut pousser un cri, et crever l’œil de cet homme mauvais et sans cœur, c’est alors que la jeune femme revint à la vie, sous le regard apeuré de son meurtrier. Elle rejeta sa tête en arrière et poussa un hurlement plus perçant que celui de tous les oiseaux réunis. Les chiens se mirent à aboyer; les chats miaulèrent, tandis que les oiseaux poussèrent des cris de douleur et volèrent en cercle dans ce ciel qui devint gris. Les nuages moelleux et doux laissèrent la place à un drap tout chagrin; le soleil partageait leur colère. Les arbres se balancèrent au rythme du vent furieux. 
Les humains regardèrent le firmament, silencieux, émerveillés. Ils n’avaient pas vu ce qui venait de se passer entre Olive et l’homme, coupeur de tête. Ou peut-être n’avaient-ils pas voulu le voir ? Qui sait ?  
Cet homme était d’ailleurs toujours debout, les cheveux dressés sur sa tête grisonnante. Lui si imposant n’était plus qu’un enfant terrorisé qui ne tarda pas à sucer un pouce rassurant. Une ambulance signala sa présence et les ambulanciers récupèrent l’homme et le conduisirent à l’hôpital (psychiatrique, sans doute). Les policiers arrivèrent à leur tour, suivis de près par les pompiers, comme s’il y avait un feu à éteindre. « Décidément, se dit Olive, c’est lorsque l’on ne les attend plus qu’ils se manifestent ceux-là, policiers, pompiers, ambulanciers. À croire qu’ils travaillent tous les trois pour les malfrats; pas contre eux.»
Le soleil réapparut soudain de sa cachette lorsque tout ce monde disparut. Olive se dirigea d’un pas alerte vers un magasin proche et acheta de l’eau, un sandwich au fromage, du chocolat et des bonbons.  Il était midi. Elle n’avait rien avalé de toute la journée. Jean, l’oiseau noir, la suivait encore, mais cette fois, il ne se posa pas sur son épaule. Il était un peu craintif et se demandait s’il avait bien été témoin de cette résurrection miraculeuse. Néanmoins, il sentait son petit cœur battre dans sa poitrine; il était  fasciné par Olive et désireux de le lui dire. Cependant, il savait qu’il devait redevenir un homme pour espérer la séduire et lui avouer ses sentiments. Il se disait que la charmante et adorable Olive était attachée à lui, l'être ailé, comme on s’attache à un animal de compagnie. 
Olive s’assit sur un banc, près du lieu de choix de Jean et de ses chers et fidèles goélands. (Les cloches sonnèrent.) 
Jean et les goélands se posèrent aux  côtés de la jeune femme.  Le jeune tourna autour de son chef, comme pour lui dire un secret. Ce dernier fit un tour complet et les goélands allèrent se restaurer. Jean resta et mangea des vers dans l’herbe. Olive, qui n’avait pas oublié sa présence, lui donna un bout de pain. Il le picora avec plaisir en poussant des cris de reconnaissance. Olive sourit. Elle sortit un calepin de son sac et elle écrivit cette phrase : « ce gentil oiseau ne m’a pas quitté de la journée, je crois». Elle ajouta, après hésitation : « à croire, qu’il s’agit de mon âme sœur, Lol.»
Les heures passèrent.  Olive était toujours assise. Elle regardait passer les voitures. Elle contemplait les femmes enceintes, les amoureux, les enfants, les bébés,  les familles, les gens seuls et elle rêvait à une famille: elle souhaitait la fonder avec l’homme de ses songes. Elle l’avait souvent vu dans ses rêves et dans le quartier, mais lui semblait ne pas la remarquer. Elle s’était fait une raison, mais là, elle ne pouvait qu’y penser. Elle se surprit à dire à haute voix, en soupirant: 
Jean, si seulement tu daignais me regarder comme une femme à aimer, à épouser; si tu voyais en moi la mère de tes futurs enfants, comme je serais heureuse. 
L’oiseau se mit à frémir. Il devint alors, devant Olive, un homme. C’était son Jean, tant aimé et tant désiré. Émue, elle se changea en un chat blanc et marron, tandis que s’allumèrent les lampadaires.  L'homme et la femme, la main dans la main, se regardèrent, sans dire un mot, quelques instants, et partirent. Une vie à deux commencerait enfin pour eux.

* Ce texte a été écrit pour un concours de nouvelles et....

 

@ Tous les droits réservés sur le texte. Merci.
     

Publié dans Lecture, Nouvelle

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